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Chronique #art 14 | janvier 2015

par Gianni Cariani

Dérives urbaines et autres rivages inconnus

Labyrinthe, quelque part à Berlin, photo de Gianni Cariani, comme toutes les autres photos illustrant cette chronique. 

En surface, le règne de l'ordre et des conventions. L'illusion de la maîtrise. L'espace urbain codifié qui génère des normes, donne des clefs de lecture, créé une signalétique à usage universel, unique, omnipotent. L'art de bien gérer, d'organiser, d'orienter, de téléguider, de clarifier, de contrôler, de standardiser. L'arsenal du téléguidage est large, omniprésent, infaillible dans la ville. Le labyrinthe urbain est ainsi conçu, pensé et découpé qu'il ne supporte le doute, l'incertitude, l'hésitation. La surface urbaine est tenue comme lisse, stable, imperfectible, cristalline. Tout y est planifié, encodé et normé. C'est un itinéraire possible d'un certain point de vue. Mais le labyrinthe urbain est bien évidemment un phénoménal paradoxe.

 

Cette ambition d'une organisation « idéale », élaborée autour de mécanismes plus ou moins sophistiqués, est une utopie. L'ordonnancement du monde et de l'espace urbain cède la place au désordre, aux lieux de frictions, de juxtapositions improbables qui s'inscrivent comme autant de contre-pouvoirs et de contradictions. Un jeu de miroirs qui déforme, transforme et travestit l'illusion de la réalité.

C'est un mano à mano incessant qui se joue dans l'éphémère et superpose des strates. Une stratification où parfois les parallèles déraillent de leurs trajectoires « imperfectibles », fusionnent des espaces-temps improbables, inventent une géométrie insoupçonnée, sont incendiaires. Il n'y a pas d'espace séparé et distinct. La misère la plus glauque rencontre la puissance de l'argent, le glamour étreint la monstruosité, l'accumulation se nourrit de la vacuité, le fait politique officiel est mis en boîte par diverses alternatives. Tout est langage, tout est possible. Tout est symbole, tout est éphémère.

Sur un mur, au détour d'une rue, deux mots traduisent parfaitement l'état du monde. Sobres et clairs dans leur concision, ils nous parlent d'identité, de géographie, d'altérité, de combats politiques, de luttes fratricides. Ils délivrent un message et donnent une orientation. Ils demandent de savoir prendre des risques, d'ouvrir des portes. Ils demandent aussi de changer le monde, de ne pas le rétrécir, de ne pas ériger des murs insoutenables et inconsolables. Ils questionnent aussi, en définitive, l'usage du monde.

L'espace urbain est un laboratoire incessant et fugitif. Dans ses singularités, l'espace urbain concentre tous les processus et toutes les dynamiques. C'est un creuset qui redistribue constamment les cartes. Un laboratoire unique fait de contrastes et de mouvements. « It's time to dance.» Les dérives urbaines permettent d'accoster des rivages aux contours ineffables.

 

 

Berlin, janvier 2015

 

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