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"Le rôle de l’écrivain est de pouvoir se glisser dans plusieurs personnages à la fois. Tout est invention, et une fois imprimée, toute invention devient vérité."

Entretien

Àngel Parra

Àngel Parra fait partie ce ceux qui avaient entre 20 et 30 ans en 1973 et qui sont pour la plupart partis en exil tels António Skarmeta ou Luis Sépulveda. La nouvelle chanson chilienne dont il reste l’une des figures sera ensuite le porte-drapeau de l'opposition en exil au régime militaire qui a semé la désolation jusqu'à la fin des années 80. 

 

Auteur, compositeur, interprète mais aussi écrivain, Angel Parra vient de publier Mon premier tango à Paris (EPM musique), une interprétation personnelle de classiques du tango ainsi que Bienvenue au paradis (éd. Métailié). 

 

Dans ce deuxième roman, Parra invente Andrés Fuentenegra, un exilé qui revient au Chili après trente années d’absence. Il retrouve des odeurs et des images d’hier mais son Chili n’existe plus. Si le pays va bien, économiquement, ce bien-être n'est pas pour tout le monde ; et les dissensions sont perceptibles au sein même des familles. Andrés sait qu’il n’est qu’un retornado, un “voyageur”, un “touriste”, et certains ne se privent pas de le lui rappeler : il n’a pas vécu toutes les années de dictature, le passage à la démocratie, il ne peut pas comprendre… ou au contraire tout comprendre. Un panorama ironique du Chili d’avant-hier et d’aujourd’hui.

 

Rencontre avec un homme en vie.

 

 

 

 



































 

 

Joël Isselé : Bienvenue au paradis tourne autour de la nostalgie et du retour, de la perte également. C’est un questionnement que l’on retrouve dans vos livres et vos chansons. Est-il le socle de votre travail d’artiste ?

 

Àngel Parra : Non, ce n’en est qu’une partie. On ne peut pas être exclusivement dans la nostalgie et dans le passé. Néanmoins je reconnais que c’est un élément important de tout exilé. 

 

J.I. : Quelle est la part autobiographique de Bienvenue au Paradis ?

 

 A.P. : Comme dans tout roman, dans toute fiction, il y a une partie de vérité. Je laisse au lecteur le soin de la déceler. Cela contribue au mystère. Or, il faut surtout éviter l’amalgame entre l’auteur et son personnage romanesque.

  

J.I. : Comment vous est venu le sujet du roman ?

 

A.P. : Ce roman est nourri du fantasme de tout exilé : le retour à un pays qui n’existe plus.  

 

J.I. : Quels sentiments sont plus faciles à exprimer en se mettant dans la peau d’un autre ?

 

A.P. : Aucun sentiment n’est plus facile ou plus difficile. Le rôle de l’écrivain est de pouvoir se glisser dans plusieurs personnages à la fois. Tout est invention, et une fois imprimée, toute invention devient vérité. 

 

J.I. : Vous écrivez sur des situations difficiles voire cruelles, mais l’humour est quand même là, au détour des situations comme dans votre nouveau roman ou dans Mains sur la nuque (éd. Métailié) ?

 

A.P. : En effet, si quelque chose est au premier plan, c’est bien l’humour, noir, mais humour tout de même. L’histoire vécue dans le passé est construite de situations limites. Mon souhait est de faire passer un petit message d’espoir, et pour cela l’humour est utile. Dans la vie quotidienne, vous le savez, il y a bien trop de drames, il suffit d’allumer la  télévision…  

 

J.I. : L’enjeu de l’écriture n’est-il pas de se comprendre ? Comprendre quelque chose de votre parcours, du monde ?

 

A.P. : Si l’enjeu de l’écriture serait de se comprendre, je ne comprends pas votre question ! 

 

J.I. : Avez-vous un schéma esthétique préalable à l’écriture ?

 

A.P. : Absolument pas ! Pour moi, le livre s’écrit page par page. Je ne cherche absolument pas de faire de la littérature « stylée ». Si littérature il y a, je la voudrais spontanée. 

 

J.I. : Utilisez-vous des procédés particuliers pour écrire ? Comment faites-vous pour faire sonner la langue ? Avec la musique ?

 

A.P. : Inconsciemment sans doute. Comme je suis musicien, auteur, compositeur, une certaine sonorité musicale s’y glisse naturellement.  

 

J.I. : Conjointement à Bienvenue au paradis, vous publiez un nouvel album intitulé Mon premier tango à Paris. Sont-ce les chansons du livre ? Comment avez-vous mené ces deux projets ?

 

A.P. : Le roman et ce dernier CD, Mon premier Tango à Paris, édité par EPM, sont deux projets totalement différents, nés à des moments distants. Le hasard a voulu que la traduction française du livre et l’édition française du CD soient presque sortis en même temps. 

 

J.I. : Quelle est la mesure qui vous permet de dire que vous tenez votre livre ? Votre chanson ?

 

A.P. : Si à la lecture finale je peux rire ou pleurer, ou les deux à la fois, cela est le signe que le travail est fini.  

 

J.I. : Vos livres, vos chansons sont-ils écrits en vous avant de l’être sur le papier ? Imaginez-vous tant vos personnages qu’au moment d’écrire ils existent déjà ou est-ce l’écriture qui va les faire naître ?

 

A.P. : En raison de mon vécu, de mes expériences, ils existent déjà dans ma tête bien avant de les coucher sur papier. Au moment de la réalisation du disque, ou du livre, je me dis que mes personnages ont trouvé un toit.  

 

J.I. : On perçoit beaucoup de nostalgie dans Bienvenue au paradis, de rage aussi. Cette nostalgie, et donc cette rage, est-elle à l’origine de la création littéraire chez vous ?

 

A.P. : Absolument pas ! Car il ne faut pas oublier que j’écris aussi des contes pour enfants, ou des chansons d’amour, où surtout la rage n’a pas sa place. L’origine de toute création littéraire est la vie, avec ses hauts et ses bas. 

 

J.I. : Un autre thème qui revient chez vous, c’est la question de la mémoire et la manière avec laquelle instrumentalisée ou récupérée. Ecrivez-vous avec une forme de défiance vis-à-vis de la mémoire ?

 

A.P. : J’ai surtout confiance dans ma mémoire. Car comme vous le savez, « sans mémoire il n’y a pas histoire », comme le clament les familles des disparus et des victimes de la dictature.  

 

J.I. : Quel regard portez-vous sur votre parcours tel qu’il vous apparaît aujourd’hui ? Quelles relations les livres et les chansons entretiennent-ils les uns avec les autres ?

 

A.P. : Tout est lié. Je considère qu’une chanson correspond déjà à un court roman. Pour moi, un livre ou une chanson sont comme frère et sœur, issus du même sang. 

 

J.I. : Violeta Parra, ma mère (éd. Écriture)  est-il un livre à part dans votre bibliographie ?

 

A.P. : Ce n’est pas une fiction mais un récit, ce n’est peut-être pas la vie de ma mère, mais mes souvenirs d’enfant à ses côtés.  

 

J.I. : Qu’est-ce que votre mère vous a transmis ?

 

A.P. : Elle m’a tout transmis. N’est-ce pas le rôle de chaque mère ?  

 

J.I. : En 2004, vous avez reçu, avec Isabel, votre sœur, le titre de "Figuras fundamentales de la música chilena". Qu’est-ce que cela a représenté pour vous ?

 

A.P.:  Tout ce qui est de prix, honneurs, médailles ou autres diplômes, est secondaire. Ce qui m’importe c’est d’avoir une petite place dans la mémoire du peuple chilien.  

 

J.I. : Vous partagez votre temps entre Paris et Santiago. Comment percevez-vous le Chili contemporain ?

 

A.P. : Le Chili contemporain est très présent dans Bienvenue au paradis

 

J.I. : Dans la notice Wikipédia vous concernant à la rubrique genre musical il est noté « chanson de révolte ». Est-ce que cela vous convient ?

 

A.P. : Mon genre musical ne se résume pas à la révolte, il y a bien d’autre chose. 

 

J.I. : A notre époque du tout divertissement, donnez-vous une mission à la littérature et à la musique ?

 

A.P. : Oui, bien sûr, qu’il y ait une mission, même un devoir ! Justement, le simple divertissement à notre époque ne suffit pas Il est important d’informer, de faire réfléchir, d’émouvoir, et de créer surtout. 

 

 

Propos recueillis par Joël Isselé, mai 2015

 

 

 


 



 

Àngel Parra

Photo Métailié / Philippe Matsas

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