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La bibliothèque voyageuse de Georges Bogey

Martin Luther King, conférence de presse

photo : Marion S. Trikosko, 26 mars 1964

© Library of Congress

« Les privilégiés cèdent rarement leurs privilèges sans une forte résistance. […] Le réalisme nous oblige à admettre que le combat se poursuivra jusqu’à ce que la liberté [et l’égalité ] deviennent une réalité pour tous les peuples opprimés du monde. » 

 

Martin Luther King

« Je fais un rêve » de Martin Luther King

aux éditions Bayard

 

par Georges Bogey

 

Martin Luther King est né en 1929 dans une famille aisée où l’on est pasteur de père en fils depuis plusieurs générations. Il deviendra pasteur lui aussi. Il se mariera en 1953. Il aura quatre enfants.

 

Il grandit dans l’Amérique ségrégationniste et s’engage dans la lutte contre la ségrégation dès l’âge de quatorze ans. Il consacre toute sa vie au combat non violent contre le racisme, les discriminations de toutes sortes, contre la guerre, contre la pauvreté pour la défense des droits des Noirs, pour la liberté, l’égalité, la justice.

 

Surveillé et mis sur écoute par le FBI, il connaît la prison. Il obtient le Prix Nobel de la paix en 1964. Le 4 avril 1968 il est assassiné par un ségrégationniste blanc. 

 

 

Une petite histoire d’où naît sa grande histoire 

 

 

En 1943, revenant d’un concours d’éloquence qu’il avait gagné, il prend le car du retour dans lequel on les insulte, lui et son professeur qui l’accompagne, en les traitant d’« enfants de pute noirs ». Le chauffeur les oblige à se lever pour que des blancs puissent s’asseoir à leur place. Ils voudraient refuser, mais ils cèdent. Ils font cent trente kilomètres debout dans le couloir. Ironie du sort, le sujet du concours d’éloquence était « le Noir et la Constitution ». Son combat pour l’égalité des Noirs et des Blancs commence ce jour-là par une défaite. 

 

 

Le livre

 

 

Son discours « je fais un rêve » a donné son titre à un livre qui rassemble un grand nombre de ses textes (articles, discours, sermons, entretiens). Sous des formes diverses, ces textes déclinent les mêmes thèmes : non à la discrimination, égalité et justice pour les Noirs comme pour les Blancs. Chacun présente un intérêt spécifique. Chaque fois un éclairage particulier est porté sur tel ou tel sujet, en fonction des circonstances et du public. Le cadre de cet article ne permettant pas de les traiter tous, je voudrais juste souligner quelques points. 

 

 

Le discours

 

 

Prononcé le 28 août 1963 devant 250 000 personnes à l’occasion d’une marche sur Washington, le discours « I have a dream » est devenu symbolique de l’engagement sans faille de Martin Luther King et de sa manière de penser, d’être et de faire. Il exprime son rêve de fraternité, de liberté, de justice, d’égalité et il est aussi lyrique que réaliste. Ce rêve est surtout une volonté dont la philosophie est la non-violence. Chez Martin Luther King rêve, action et non-violence sont totalement liés. 

 

On entend Aragon lui répondre d’un autre continent… 

 

Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue

Le massacre toujours justifié d’idoles

Aux cadavres jetés ce manteau de paroles

Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou.

Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange

Un jour de palme un jour de feuillages au front

Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront

Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche. (1)

 

Martin Luther King construit l’argumentation de ce discours sur trois socles simples, mais solides. Un constat, des objectifs, l’énoncé des moyens. 

 

 

Le constat 

 

 

L’Acte d’Émancipation promulgué en 1863 est resté lettre morte depuis cent ans. « …Le Noir n’est pas encore libre. Cent ans ont passé et l’existence du Noir est toujours tristement entravée par les liens de la ségrégation, les chaînes de la discrimination. »

 

La situation est une honte pour l’Amérique qui n’a pas tenu sa promesse. Martin Luther King constate en outre que tous les Blancs ne méprisent ni ne détestent les Noirs. Beaucoup de Blancs soutiennent son action. Il a besoin de ce soutien. 

 

 

L’objectif 

 

 

L’objectif est simple. Blancs et Noirs sont égaux et cette égalité doit être effective dans la réalité quotidienne. Tous, Blancs et Noirs, sans discrimination, ont les mêmes droits et les mêmes devoirs : égalité, justice, liberté, bien-être pour tous ! Il vise cet objectif quoi qu’il en coûte. « Il n’y aura plus ni repos ni tranquillité en Amérique tant que le Noir n’aura pas obtenu ses droits de citoyen. Les tourbillons de la révolte continueront d’ébranler les fondations de notre nation jusqu’au jour où naîtra l’aube brillante de la justice. » 

 

 

Les moyens 

 

 

Martin Luther King est un homme généreux, opiniâtre, courageux, foncièrement croyant et religieux. Mettant son don exceptionnel d’orateur au service de ses convictions politiques et religieuses, il cherche toujours à convaincre et à emporter l’adhésion. 

 

Dans la lignée de Gandhi qui voulait libérer son pays du joug des Anglais, Martin Luther King est un non-violent. « Il ne faut pas que notre revendication créatrice dégénère en violence physique. » Les moyens non violents sont nombreux : manifestations, marches protestataires, désobéissance civique (on ne doit pas respecter la loi lorsqu’elle bafoue la justice) ; bref, pour se faire entendre et faire valoir leurs droits, les Noirs doivent être omniprésents et actifs - pugnaces, mais sans violence - en tous lieux, en toutes occasions. 

 

 

Qu’est-ce que la non-violence ? 

 

 

Martin Luther King se réfère à Gandhi qui a utilisé la non-violence comme méthode de combat pour libérer l’Inde de la domination de l’Empire britannique. Voici ce qu’il en dit :

 

La non-violence est une vraie résistance. « Il ne s’agit pas d’une méthode réservée aux couards, mais d’une résistance authentique. […] À l’agression physique, elle substitue une agression spirituelle dynamique. » 

 

La non-violence est une résistance qui éveille les consciences. Le résistant exprime sa protestation en refusant de coopérer, en faisant des marches revendicatives, en refusant d’appliquer des lois non conformes à la justice et à l’égalité. Par toutes ses actions pacifiques, mais déterminées, l’opprimé fait prendre conscience de son bon droit à ses oppresseurs. 

 

La non-violence est une résistance fondée sur l’amour. « En luttant pour la dignité humaine, les peuples opprimés du monde entier doivent s’interdire de tomber dans l’amertume ou de se laisser aller à des campagnes de haine. » « Répliquer par l’amertume et la haine ne peut qu’intensifier la haine dans le monde. » « Il faut bien que quelqu’un manifeste assez de bon sens pour briser l’enchaînement de la haine. » 

 

 

La rose et le réséda

 

 

On peut adhérer à une cause sans adhérer à la foi religieuse de celui qui la défend.

 

J’adhère aux objectifs humanistes de Martin Luther King en étant en complet désaccord avec lui quand il affirme « que dans son combat pour la justice […] le résistant non violent est accompagné d’une présence cosmique. La conviction que Dieu est du côté de la vérité et de la justice nous vient de la longue tradition de notre foi chrétienne. » 

 

Malgré ce grand écart qui sépare celui qui croit en Dieu de celui qui n’y croit pas, les chemins se rejoignent dès lors qu’il s’agit de défendre une cause juste qui concerne tous les hommes qu’ils soient croyants ou non. Pas besoin de croire en Dieu pour vouloir le bien de l’homme ! 

 

Aragon, encore… 

 

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n'y croyait pas

Qu'importe comment s'appelle

Cette clarté sur leur pas

Que l'un fut de la chapelle

Et l'autre s'y dérobât

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n'y croyait pas

Tous les deux étaient fidèles

Des lèvres du cœur et des bras

Et tous les deux disaient qu'elle vive et qui vivra verra. (2)

 

 

Un monde paisible ? 

 

 

En France, on parle des sanglantes croisades, de la guerre de Cent Ans, de la boucherie de 14-18, de la « dernière » guerre, comme s’il y avait une discontinuité entre chacun des conflits. Qu’on ne s’y trompe pas, il existe un fil conducteur, pour ne pas dire un solide filin d’acier entre toutes les guerres, et cela, du plus lointain passé au présent le plus présent, c’est le fil de la haine et de la violence. J’écris au cœur d’un pays verdoyant et paisible conscient que c’est un privilège exceptionnel que de vivre aujourd’hui dans un espace pacifié.

 

J’ai cité Aragon. Voici Rimbaud.

 

Dans un vallon paisible, un soldat dort … 

Les parfums ne font pas frissonner sa narine

Il dort dans le soleil la main sur la poitrine.

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. (3)

 

Notre monde est un monde de violence. La guerre ouverte ou larvée se développe partout, en interne et en externe, comme un incendie que personne ne parvient à maîtriser : guerre contre l’étranger, contre celui qui est différent, entre les religions, entre les ethnies, entre les clans, entre les groupes sociaux, entre les riches et les pauvres, les exploiteurs et les exploités, les colonisateurs et les colonisés, les dominants et les dominés.

 

L’esclave noir d’hier n’a fait que changer d’habits. Les inégalités, les injustices et les haines changent de forme, pas de nature. Le combat de Martin Luther King, comme celui de Gandhi, comme celui de Mandela, comme celui de tant d’autres « honnêtes hommes » (et de femmes) est plus que jamais d’actualité dans notre monde perturbé. C’est sans doute un combat qui n’aura pas de fin, c’est ce qui en fait son âpreté et sa grandeur. 

 

Voici ce qu’en dit Martin Luther King : « Les privilégiés cèdent rarement leurs privilèges sans une forte résistance. […] Le réalisme nous oblige à admettre que le combat se poursuivra jusqu’à ce que la liberté [et l’égalité ] deviennent une réalité pour tous les peuples opprimés du monde. » 

 

Lire Martin Luther King c’est se donner le courage d’agir chaque jour pour pacifier le monde. 

 

 

Georges Bogey, septembre 2014

 

 

 

(1) extrait de « Un jour un jour » de Louis Aragon (poème écrit en hommage au poète espagnol Federico Garcia Lorca, assassiné en 1936 par les franquistes.)

(2) extrait de « La rose et le réséda » de Louis Aragon

(3) extrait de « Le Dormeur du Val » de Arthur Rimbaud

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