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Chronique #art 1 | décembre 2013 

par Gianni Cariani

Une Universalité fragmentée

 

    

Guy Debord n'avait de cesse de chercher un sens à la marche du monde en démontrant combien la société était indubitablement « spectaculaire ». Il serait possible d'ajouter que cette quête permanente de représentation(s) en serait un dopant très puissant. Ce constat qui n'a pas valeur de jugement suggère la profusion productive de biens symboliques, porteurs de sens ou de non-sens, de passions collectives et de désirs individualisés, d'accumulation et de stéréotypes, de singularités et de révoltes...

 

Par extension, j'aurais été assez curieux de connaître le discours de Guy Debord si cela avait été possible, face à cette production, sorte de forêt exubérante qui est parmi d'autres l'une des caractéristiques du climat de l'époque, un marqueur des temps actuels. Un repère qui peut se lire comme une universalité fragmentée. Puisque sur ce territoire de l'art tout est en définitive question de lisibilité et de mouvements. De l'usage de l'art, il est clair les sociétés se nourrissent, générant enjeux, tensions, conflits et contradictions. Dans ce mouvement perpétuel, sorte de spirale multi-hélicoïdale, le mouvement est infini et multipolaire.

 

Questionnements ou tentatives de réponse, cette fonction de l'art, de manière permanente en suspension, abreuve les sociétés. Et si ce propos est situé sous l'égide de Guy Debord, c'est parce qu'au centre, il est surtout question de processus. Il n'y a pas d'âge d'or dans le rétroviseur ni devant le pare-brise, seulement ce mouvement absolument fascinant qui peut subjuguer et séduire, interroger et décevoir. Cependant, dans tous les cas de figures, il génère de puissantes nourritures émotionnelles, sensibles et intellectuelles.

Milan (photo G.C.)

Ce préambule n'est que le prétexte en définitive pour poser les jalons de cette chronique. Sur ce territoire à haute valeur ajoutée, aussi bien paradoxal  que surprenant de l'art, de l'histoire de l'art et de la sociologie de l'art, il s'agit de poser un regard sur un ensemble d'enjeux et de questionnements.

 

Les choix sont subjectifs, les thèmes arbitraires, les images indélébiles. Elles jouent le rôle d'une focalisation. Si cela était en mon pouvoir, je n'aurais certainement pas le désir de produire un catalogue raisonné (de toute évidence improbable) mais bien plutôt de trouver des lignes de fuite, éparses et diverses, à ce puzzle étonnant que représente l'art dans son mouvement.

La quadrature du cercle

 

    

Et trois choses me viennent à l'esprit sans que je souhaite y apporter une réponse préétablie.

 

En premier lieu, le « pourquoi » irrémédiablement inscrit en l'homme et dans les sociétés de la nécessaire représentation. La fascination des images. Il n'y a jamais eu autant d'images à la seconde et leur lecture, leur codification et leur signification ou leur absence de signification autorisent et au-delà délimitent le liant social. En effet, pour toute société, il y a la validité d'une reconnaissance et d'une appartenance dans cette production de biens symboliques.

 

L'image est certainement à nouveau dominante, protéiforme, déclinée sous des angles représentatifs d'autant de processus et d'enjeux. Du tag à la toile de maître, en passant par l'installation, la photographie, les réseaux et toute forme mixte d'expression que l'on souhaitera, le même processus avec ses connexions esthétique, politique, sociale, économique et culturelle est à l’œuvre.    

Berlin : affiche de A. Rodchenko revisitée (photo G.C.)

Ce qui est fondamental c'est bien évidemment la circulation de ces images. Il me semble bien que celle-ci domine l'image en elle-même. Le tri est quasi impossible à faire, donc la magie de cet échange permanent se trouve associée aux notions de hasard, de circonstances, de flux, de mouvements, d'immédiateté, d'instantanéité comme si le vrai repère n'était plus ce que l'on voit mais d'être dans la transe iconographique. Dépassement de l'icône, processus invasif, « homme nouveau » aurait pu dire un utopiste du XVIIIe siècle.

 

Et c'est le troisième aspect qui m'interpelle. Comment se fait la part des choses ? C'est-à-dire la possibilité du choix, l'exercice de son goût et de sa curiosité. Miracle de l'accessibilité, jouissance d'une extrême liberté, distinction nécessaire. Il s'agit bien en effet d'une affaire individuelle reflétée dans le miroir de la société.

 

 

 

Premier détour : l'art du détail

 

 

Lors d'un séjour à Berlin, au premier coup d’œil, un petit détail d'une affiche m'a immédiatement intrigué. Il s'agissait d'une campagne publicitaire pour une marque de lingerie. La photo d'une femme était associée à une adresse, Rosa-Luxemburg Strasse.

 

Ce raccourci, fruit d'un hasard (un emplacement géographique) m'apparut comme particulièrement séduisant puisqu'il mettait en perspective le passage du  XXe siècle au suivant en associant l'égérie spartakiste et une femme dont l'objectif est clairement de séduire.

Berlin, campagne publicitaire (photo G.C.)

Le « pont » entre l'idéologie et l'esthétique, entre la modernité et la post-modernité, l'espace public et l'intimité, me semblait assez incongru et fantastique si, de surcroît, nous nous arrêtions au slogan qui nous disait « rendre le monde fou ». C'est un point de fuite inespéré qui traduit bien notre mise en perspective. Ainsi les trois éléments constitutifs de l'affiche créent un moment inattendu et suggestif.

 

A rebours de toutes les interprétations, voilà une association fortuite pleine de niveaux dissociés. Cette affiche traduit pleinement notre idée. Sur ce territoire particulier de l'art, s'il est question de perception et d'appréhension, il est aussi surtout question de décalages.

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