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Chronique #art 18 | juin 2015
par Gianni Cariani
De la représentation...
Sumo, GC
Dans un monde globalisé où paradoxalement la totalité est de plus en plus fragmentée, certains concepts sont affectés par des processus de transformation plus ou moins radicaux. La mesure symbolique du monde qu'ils autorisent connaît des évolutions et des mutations remettant en cause l'équation qui les soutient. Cette équation qui modèle une valeur d'usage et de perception, incarne une mesure-étalon. Le sens du monde est ainsi toujours confronté à un équilibre instable. Ainsi en est-il peut-être d'une notion qui a forgé l'identité de l'Occident plus que d'autres dans son appréhension du monde.
Quel que soit le biais par laquelle elle est envisagée, l'idée de représentation est une sorte de réceptacle qui fait office de miroir. Mais un étrange miroir à facettes, parfois strictement délimité, souvent déformé qui renvoie une image ambivalente constituée autant de certitudes que d'incertitudes. Ce qui en délimite le territoire est bien entendu sa dimension de bien symbolique, qui constitue une sorte de partage sociétal, point d'ancrage d'une identité à construire ou à déconstruire.
J. Tarade, Les remparts de Sélestat (d'après les plans de Vauban), 1675-1691, Sarkis, Le rêve, 1993, GC
Cette dimension critique est emblématique de cet espace symbolique. A ne considérer que quelques paradigmes, il suffit de constater et de sous-entendre l'évolution de différentes problématiques relatives à la sociologie ou à l'histoire de l'art.
Ainsi qu'en est-il de la manière de montrer et d'exposer une « œuvre » ? Qu'en est-il également du statut de l'artiste ? De l'action du commanditaire, entre sphère privée et espace publique ? De l'interprétation qui ouvre débats et questionnements ? De la notion de patrimonialisation ? De la délimitation en elle-même d’œuvre d'art ? De sa reconnaissance, de sa distinction, de son institutionnalisation, de son instrumentalisation ?
Pour être clair, si le chantier est infini et toujours en mouvement, ce dernier connote aussi l'identité et la réalité d'une société. C'est le point très sensible et stratégique de la valeur de l'art, entre expression, appropriation et représentation.
Piero di Cosimo, Portrait de femme (S. Vespucci), circa 1480, Huile sur toile, 57 X 42 cm, Musée Condé
Appréhender la notion de représentation dans ses mouvements, ses évolutions et ses ruptures permet de dresser le portrait fantasmatique de l'Occident. L'obsession occidentale de la représentation est en quelque sorte une superposition de couches, une stratification qui donne à lire. Mais cette lisibilité est elle-même conflictuelle parce que sujette à caution. Significativement jusqu'à la modernité le questionnement fondamental a tourné autour d'un enjeu simple qui a prédominé depuis la première Renaissance, à savoir une sorte d'affrontement entre un idéal de beauté et un idéal de réalité. L'affrontement peut aussi être tentative de conciliation.
Les primitifs italiens qui renouvellent l'idéal de beauté, dans une volonté de dépassement des canons esthétiques du Moyen-Age et de redécouverte d'une antiquité classique, dégagée de sa gangue religieuse, répondent aux Flamands pour qui la notion de Beau puise sa source bien davantage dans la représentation de la réalité.
Quentin Metsys, Portrait d'une vieille femme, circa 1513, Huile sur bois, 62,4 X45,5 cm, Londres, The National Gallery
Ce face-à-face qui domine toute la Renaissance connaît bien évidement nombre de subtilités, de croisements, d'emprunts et d'échanges. Les Italiens ne restent pas insensibles aux tentatives du Nord et les Flamands sont curieux des expérimentations italiennes. Cependant, les Flamands et les Italiens se distinguent sinon par le sujet du moins par le principe qui sous-tend leur ambition esthétique : le beau au service du vrai et la réalité comme expression de la vérité.
Sous ce double appareillage, la construction du tableau et la manière sont éprouvées de façons bien différentes. Bien souvent la peinture italienne subjugue le monde quand la peinture flamande le critique. La lumière, les mouvements du corps et l'anatomie, l'usage d'éléments architecturaux et naturels dans le tableau, sa composition, les questions de proportions et de perspective sont au service de cette double et contradictoire vocation.
I. G. Tchachnik, Composition suprématiste, 1925-1926, Aquarelle sur papier, 25 X 31 cm
Toutes les strates de la peinture occidentale jusqu'au tournant de la modernité sont placées sous le signe de cette dualité. Cette question du Beau ne trouve sa résolution que lorsque tout simplement se produit l'abandon de l'idée dominante qui se résume d'une certaine manière à l'imitation de la nature. Alors tout devient possible et les limites du cadre de la représentation sont définitivement repoussées hors-les-murs.
Dans son nouvel habit, la représentation est au-delà d'elle-même, devenant processus. Pendant environ six siècles, la peinture comme espace de représentation s'est débattue dans un champ relativement restreint repoussant les limites, rejetant des conventions, bannissant les codes, inventant de nouveaux ressorts, mais toujours à l'intérieur d'un cadre donné et fondateur. Cette trajectoire possède ces moments étonnants et fulgurants. La résolution de questions techniques autorise à chaque tournant la conquête d'une plus grande liberté. Parce que ce qui est en jeu est bien d'assurer un espace émotionnel et intellectuel libéré de la tyrannie des conventions.
Dans cet itinéraire qui change les codes, il s'agit bien de rendre l'ordonnancement du monde possible. L'appréhension des méandres subjugue l'effroi et le dépasse.
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