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Cygne d'étang chilien, signe des temps anciens : la fin du monde est proche

par Franck Michel

"La Patagonie, la Terre de Feu, les confins du Bout du Monde sont en danger. Une vision irrationnelle du progrès et le développement intensif, auxquels s'ajoute un tourisme irrespectueux, font de ces territoires extrêmes des lieux condamnés.

Tandis que nous volons au-dessus de la bahía Inutíl, Victor me dit : "dans un avenir proche, en arrivant aux abords du Perioto Moreno, les touristes pourront lire : ici, il y avait un glacier"."

 

Luis Sepulveda, Histoires d'ici et d'ailleurs

Chili

Ce court extrait tiré d’un roman de l’écrivain chilien Luis Sepulveda remet un peu d’ordre dans les idées. Il devrait être lu publiquement par les guides patagons lorsque les touristes internationaux, arrivés à grands frais sur un bateau de croisière, mettent un peu de « glace millénaire » (un leurre typique pour amuser les visiteurs !) dans leur whisky – sorte de rite touristique qui fonctionne toujours – pendant que les croisiéristes photographient frénétiquement les derniers grands glaciers de la Patagonie sauvage… Difficile cependant, et de picoler et de mitrailler en même temps.

 

Au pied du glacier Leones, en Patagonie chilienne, la preuve du réchauffement climatique n’est plus à faire. Elle est même l’affaire de tous. Comme semble l’illustrer cette image de la fin d’un monde et du bout d’un fjord. On y aperçoit un cygne de glace, figé dans le temps, fixé pour la photo. Ce cygne faussement rescapé des temps glaciaires paraît en fait bloqué dans son élan à l’instar d’un ultime, mais vain signe de résistance au changement climatique.

 

Ce changement, aussi ingérable qu’irrémédiable, s’avère surtout désastreux pour la nature, mais aussi pour les habitants qui usent et abusent à satiété de cette dernière. En effet, la nature a perdu la bataille contre la culture. Désormais, la première se préserve tandis que la seconde se déverse. La conservation d’un côté, la culture en boîte de l’autre. L’âge de glace sur grand écran dans un salon climatisé remplace ainsi la glace qui finit de fondre sur les derniers écrins de nature préservée. Indoor contre outdoor, écrans contre écrins. La révolution numérique rend la lutte trop inégale. Et aucun « printemps arabe » du moment ne pourra contrer la chaleur étouffante à venir d’un monde condamné qui n’aura rien d’un été indien.

 

 

Voici venu le sale temps sur le lac des cygnes en Patagonie. Un dernier paradis, bientôt perdu, pour les rares visiteurs de ce temps déjà révolu. La fonte avance, la glace recule. On s’émeut devant ce paradis qui se meurt en grande partie par la faute des hommes, des humains pas assez humains, trop pressés de consommer, sans doute aussi trop sommés d’être cons…

 

 

Tellement sonnés par les coups de soleil qu’ils n’entendent plus le cri d’alarme de la Terre en danger, cette Pachamama en sursis jadis vénérée par des peuples pour la plupart massacrés depuis. Notre civilisation développée ne peut en vouloir à la terre entière, mais seulement à elle-même et à son modèle qui, tous les jours, rend l’immondialisation plus dure à supporter pour nous autres, survivants impuissants d’un monde déjà fini, déjà passé, déjà dépassé.

 

 

Pour d’aucuns, il est sans doute normal que ce bout du monde qu’est la Patagonie soit ainsi près de la « fin » du monde. Un monde sans hommes, sans avenir ? Ou un monde sans barrages et sans capitalisme ? Car les jeux ne sont pas faits : une autre fin du monde est possible. Ce n’est pas un fait, mais un devoir.

 

 

C’est aussi un devoir de mémoire pour tous ceux (les Kaweskar en particulier) qui, dans ce beau coin oublié de la planète, ont été dans l’indifférence quasi générale génocidés au fil du temps. À l’échelle du temps long, la nature saccagée ne fait in fine que rejoindre la culture ethnocidée…

 

 

Chili, 12 mars 2014

 

 

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